A en lire et à en écouter certains, Stéphane Bern et Lorant Deutsch rafraîchiraient une histoire de France, jusque là poussiéreuse, du moins à leurs yeux, et donneraient ainsi à un plus grand nombre de citoyens l'envie de s'y intéresser. La remarque est pertinente, certes, mais reflète-t-elle la réalité ? Bern et Deutsch, par le biais de leurs émissions et de leurs livres, vont-ils faire émerger par on ne sait quel enchantement une génération de citoyens plus férus d'histoire, voire des historiens "moins poussiéreux et plus frais" ? Ainsi il suffirait de pondre quelques émissions "historiques" bien dans l'air du temps, avec juste ce qu'il faut de bruissements d'alcôves, et de conter une histoire qui plaît, pour donner le goût de cette discipline au plus grand nombre.
N'en déplaise à beaucoup, la seule question qui vaille est de savoir si l'histoire est accessible à tous. A une époque où tout le monde, ou quasiment, prétend courir après le temps, l'histoire devrait-elle, tout comme la bouffe ou bien d'autres choses, être consommée sur le mode "fast" ? Le public et les lecteurs de Bern et Deutsch ne sont-ils pas les mêmes qui "se font" le Louvre ou le Musée d'Orsay au pas de charge, croyant de bonne foi en ressortir un peu plus "cultivés" ? D'une extrême richesse tant pour la compréhension du monde d'aujourd'hui que pour la réflexion sur la condition humaine, l'histoire mérite-t-elle ce traitement ? Est-il raisonnable de prétendre l'aborder sans un minimum d'effort, servie bien formatée, au goût de l'époque ? NON!
L'histoire, tout comme les disciplines scientifiques ou bien d'autres domaines, se mérite et nécessite de passer par une longue initiation bien souvent au contact d'un professeur de lycée qui, lui, va savoir donner l'envie à quelques-uns de ses élèves - mais n'est-ce pas son métier - et leur transmettre cette flamme qui ne s'éteindra plus jamais. Mais l'envie seule ne suffira pas si elle n'est pas accompagnée des indispensables efforts que nécessite une discipline aussi exigeante que l'histoire. Et ce discours n'a rien d'élitiste! Il est juste réaliste. L'histoire et son étude sont ouvertes à tous, sans distinction aucune. Pour autant, l'accès à cette discipline n'est pas "gratuit" et nécessite l'investissement personnel de tous ceux qui souhaient y pénétrer. Or ce n'est pas le "prêt à penser", pré-digéré, que nous servent Bern et Deutsch qui y changera quoi que ce soit.
Prenons l'exemple de la musique, discipline oh combien ardue pour qui souhaite la pratiquer pleinement. Sa connaissance et l'apprentissage d'un instrument vont nécessiter beaucoup d'efforts. La musique n'accepte pas le mode "fast" et ce n'est qu'au prix d'une longue pratique que les apprentis musiciens finiront par vivre pleinement leur passion. Et dans ce domaine, une émission comme celle que produit et présente Jean-François Zygel, La Boîte à Musique, sur France Télévision, peut susciter l'envie de tous, de 7 à 77 ans et plus. Seule différence avec l'émission de Bern : Jean-François Zygel est avant tout un excellent professeur au Conservatoire National Supérieur de Musique, qui plus est un remarquable musicien, ce qui lui permet de bâtir ses émissions sur une expérience et un savoir éprouvé. A quand un "Jean-François Zygel de l'histoire" à la télévision, dans une émission diffusée à une heure de grande écoute ? Ils existent, il suffit juste de faire l'effort d'aller les chercher ces historiens talentueux et de laisser Bern à ses bruissements d'alcôves.
Le Tribun en colère
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